Au Pays de Gex, fronde générale contre le futur et XXL Centre commercial

Sophie Hélouard, Le courrier des maires et des élus locaux, 09/09/2022


Alors qu’un moratoire sur la construction de nouveaux centres
commerciaux a été décrété en 2020 par Emmanuel Macron afin de lutter contre l’artificialisation des sols, à Ferney-Voltaire, commune de l’Ain frontalière de la Suisse, un projet pharaonique fait grincer les dents.

« Faillite prédite ! Commerces, oui. Zones commerciales, non ! » Le
29 janvier dernier, à Ferney-Voltaire (Ain), près de 400 manifestants ont battu le pavé pour dénoncer le futur centre commercial. D’ici 2025, 130 boutiques, 19 restaurants et un parking de 1 600 places devraient en effet voir le jour sur le secteur de la Poterie.

Une zone déjà bien pourvue… Projet surdimensionné et obsolète pour
certains ; moyen de renforcer l’attractivité du territoire pour d’autres :
l’opération s’inscrit dans la revitalisation de la ZAC Ferney-Genève-
Innovation. Là où le bât blesse, c’est que le Pays de Gex est déjà plutôt bien loti en zones commerciales. Preuve en est : à moins d’un quart d’heure en voiture de Ferney-Voltaire s’érige Val Thoiry et ses 70 enseignes. À quelques kilomètres de là, Saint-Genis-Pouilly prévoit d’accueillir un ensemble commercial d’une cinquantaine de boutiques et de 15 restaurants en lieu et place de 14 hectares de terres agraires et d’une zone humide. Un projet contesté par le comité local Stop Open qui a déposé un recours auprès du tribunal de Bourg-en-Bresse en 2021. Un peu plus à l’est, à Ferney-Voltaire même, l’espace Candide inauguré il y a tout juste cinq ans, vivote. Quant au centre Balexert, situé de l’autre côté de la frontière, il compte 120 boutiques et une quinzaine de restaurants. « C’est une région où le nombre de mètres carrés de commerces est déjà supérieur de 50 % à la moyenne nationale », précise Anne Durand, présidente de l’association Poterie Riposte. Alors, quid d’un nouveau projet de 63 000 m2 ?

Un territoire atypique… Le Pays de Gex est un territoire à part. « Ces
dernières décennies, celui-ci a connu un développement démographique très important du fait de sa proximité immédiate avec Genève, confirme Laurent Chalard, géographe. La population est passée de 33 000 habitants en 1975 à 98 000 en 2019. »

Chaque jour plus de 30 000 personnes passent la frontière pour aller
travailler en Suisse où les salaires sont deux fois plus élevés qu’en France.
Or, si la Confédération helvétique est pourvoyeuse d’emplois… elle préserve ses terres agricoles, au nom de la sécurité alimentaire, et construit peu ! « Conséquence : le Pays de Gex est devenu le déversoir périurbain de la métropole, poursuit le géographe. Les anciens villages ruraux attirent les ménages à fort pouvoir d’achat ». Une aubaine pour la grande distribution qui voit dans cette zone de chalandise une mine d’or… et les élus locaux, une façon de développer leurs communes !

Le combat des habitants. À Ferney-Voltaire, la présidente de l’association
Poterie-Riposte s’inquiète de ce « temple de la surconsommation bardé
d’alibis culturels (nldr, c’est l’offre d’Altarea- Cogedim et son partenariat avec le Centre Pompidou et la Cité des sciences qui l’a emporté, et le cinéma d’art et essai actuellement dans le quartier sera repositionné dans le centre commercial avec sept salles) en totale inadéquation avec l’urgence climatique », ainsi que de ses conséquences sur le commerce de proximité et l’environnement.

Des propos auxquels font écho ceux du conseiller régional Les Écologistes
Maxime Meyer. « Ce projet pharaonique, alimenté par des rêves de grandeur, appartient à l’ancien monde. Se pose-t-on réellement la question de savoir si cela répond aux souhaits de la population ? Je pense que non. Il faut avoir le courage de reconnaître qu’on s’est trompé et qu’on va revoir sa copie… » Et Anne Durand de conclure : « On peut mieux faire dans la cité de Voltaire, non ? »

Les acteurs

La ville de Ferney-Voltaire. Si le maire Daniel Raphoz, qui a « hérité » du
dossier et signé le permis de construire en juin 2020, avoue s’interroger sur le business model des centres commerciaux, il ne remet pas en cause le projet.

L’association Poterie Riposte Ferney-Voltaire. L’association présidée par
Anne Durand a déposé divers recours devant la justice et convie les
habitants à des ateliers participatifs afin d’imaginer des alternatives au projet de centre commercial.

Le collectif d’architectes. Organisés par Poterie Riposte, les ateliers animés par un collectif d’architectes et d’urbanistes « sans frontières » imaginent un projet alternatif. « Le futur centre commercial est hors d’échelle et dépassé face aux enjeux de développement soutenable, confie l’architecte Marcellin Barthassat. Un autre aménagement urbain est possible, en corrélation avec les postulats du Grand Genève sur la transition écologique. Le groupement local de coopération transfrontalière se doit de réinterroger cet ensemble commercial démesuré. »

Ce que dit la loi
La loi du 22 août 2021, dite loi « climat et résilience », se fixe pour objectif de réduire par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 avant d’atteindre le « zéro artificialisation nette » en 2050. Concernant les centres commerciaux, l’article 215 de la loi prévoit que l’autorisation d’exploitation commerciale (AEC), mentionnée à l’article L. 752-1 du code de commerce, ne pourra désormais plus être délivrée pour tout projet d’une surface de vente supérieure à 10 000 m² dès lors que celui-ci
entraîne une artificialisation des sols.

« Une juste revitalisation du quartier »
Vincent Scattolin, maire de Divonne-les-Bains et vice-président de Pays de
Gex agglo chargé du développement économique.

1. Rééquilibrer les activités économiques

« Précisons d’abord que le centre commercial s’inscrit dans le projet global de la ZAC Ferney-Genève-Innovation. Une opération de réaménagement urbain de près de 65 hectares, située aux portes de l’aéroport international de Genève. La société publique locale (SPL) Terrinnov, dont je suis le président, a été missionnée par Pays de Gex agglo pour développer cette ZAC et rétablir un équilibre entre la France et la Suisse. D’ici 2030, ce programme mixte permettra de développer 195 000 m² de surface de plancher d’activités économiques ainsi que 2 500 logements.

2. Limiter l’impact sur l’environnement

Je rappelle que le projet de centre commercial de Ferney-Voltaire doit être
réalisé sur un terrain déjà artificialisé. Donc, il ne va pas participer à
l’imperméabilisation des sols. Un soin particulier sera apporté à la
construction en faisant le choix de matériaux biosourcés. Il est également
prévu d’exploiter les rejets de chaleur du CERN – organisation européenne pour la recherche nucléaire – via la mise en place d’un système de chauffage innovant permettant de chauffer le futur quartier de la ZAC Ferney-Genève-Innovation ainsi que le centre commercial. Cela contribuera à réduire de façon importante nos émissions de CO2. Enfin, les mobilités douces seront développées avec notamment le prolongement du tramway à Ferney-Voltaire, la création d’une ligne de bus à haut niveau de service (BHNS) et de pistes cyclables.

3. Ecouter les citoyens

Un travail de concertation a été engagé avec les commerçants locaux – dont certains s’inquiétaient de l’implantation d’un nouveau centre commercial – ainsi qu’avec les habitants. Notre objectif est vraiment de revitaliser le quartier, d’en faire un véritable lieu de vie et d’apporter une offre complémentaire à ce qu’on trouve actuellement à Ferney-Voltaire. Je connais les oppositions à ce projet. Mon équipe a déjà eu l’occasion d’échanger avec les représentants des associations. L’idée n’est pas de fermer la porte. La discussion s’engagera quand le tribunal aura rendu
son jugement.»

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